Il tout à fait est approprié que les Assemblées annuelles d’Afreximbank aient commencé par une réflexion sur les forces qui déterminent notre époque – et qui sont conflictuelles– : la mondialisation et la démondialisation. Et qui de mieux placé que le Dr Roger Ferguson, le géant de la recherche économique américaine, pour prononcer un discours sur ces tendances ? 17ème vice-président de la Réserve fédérale américaine de 1999 à 2006 et acteur central de la pensée économique globalisante des administrations américaines depuis le président Clinton, le Dr Ferguson incarne également le thème de « Global Africa » (Afrique globale) d’Afreximbank, en tant que membre de la diaspora de notre continent dont le travail a des implications et un impact véritablement mondiaux.
Bien que convaincant et imposant dans sa présentation, le discours de M. Ferguson donnait à réfléchir dans son message principal : le monde d’aujourd’hui est radicalement incertain et instable, et les États doivent développer une résilience économique, pour ne pas être emportés par des événements et des crises inattendus. Le changement climatique, l’évolution rapide de la géopolitique et la modification des alliances mondiales sont autant de facteurs qui conspirent à rendre le monde considérablement plus imprévisible en 2024 qu’il y a une génération, lorsque la fin de la guerre froide permettait à certains de fantasmer sur la « fin de l’histoire ».
Mais alors que beaucoup pourraient imaginer la résilience comme une sorte d’immobilité obstinée, le Dr Ferguson s’est efforcé de souligner le contraire – être résilient n’est pas être inamovible ou cassant ; c’est plutôt une question d’agilité et d’adaptabilité. La résilience n’est pas un état absolu, s’est empressé d’ajouter l’économiste américain, elle est plutôt évolutive. L’objectif de chaque pays – et en particulier de ceux qui sont le plus exposés aux marchés mondiaux des matières premières, comme c’est le cas en Afrique – devrait être d’accroître la capacité systémique du pays – et de la région au sens large – à résister aux chocs et, en fin de compte, à s’en sortir.
C’est une réaction humaine tout à fait naturelle – applicable même au niveau de l’État-nation ou d’une institution financière majeure – de s’engager dans le déni d’éventuelles catastrophes. Selon M. Ferguson, il s’agit là d’une faiblesse potentiellement fatale dans la réflexion des dirigeants économiques et politiques. Les perturbations du commerce mondial et de l’économie mondiale – comme on l’a vu lors de la crise de la Covid-19, après l’invasion de l’Ukraine par la Russie et lors de l’escalade des tensions au Moyen-Orient – sont inévitables, et tout exercice de planification sérieux doit tenir en compte.
Étant donné le caractère pratiquement inéluctable des turbulences et de l’instabilité, l’approche intelligente consiste à concevoir et à maintenir des systèmes qui détectent les changements avant qu’ils ne se produisent, ou du moins avant qu’ils ne se fassent sentir dans toute leur envergure. Selon M. Ferguson, les économies africaines ont toujours souffert du fait que les chocs sur les produits de base et les perturbations des itinéraires commerciaux sont arrivés par surprise et qu’aucune préparation n’a été entreprise pour protéger les États de leurs pires conséquences.
Bien qu’il s’agisse d’une idée très répandue en Occident, M. Ferguson a contesté la caractérisation du commerce moderne comme entrant dans une phase de « démondialisation ». S’il est vrai que c’est ainsi que le monde se présente depuis Washington, Bruxelles et Londres, la réalité est plutôt que nous sommes entrés dans une période de « re-mondialisation », dans laquelle la dynamique économique est de plus en plus influencée par de nouveaux centres de pouvoir et de production : Chine, Inde, Nigeria, Indonésie, pour n’en citer que quelques pays.
Une ère de « re-mondialisation » exigera également des dirigeants économiques et politiques un certain degré d’agilité et de clairvoyance stratégique pour voir où les vents économiques soufflent – non pas aujourd’hui ou dans une décennie, mais dans une génération.
La clarté de la pensée M. Ferguson sur le besoin existentiel de résilience des pays d’Afrique et des Caraïbes est d’actualité, et l’économiste lauréat de la médaille de Harvard a énuméré les défis qu’il voit dans notre cheminement collectif vers le type d’agilité et de force dont nous avons besoin. De l’inégalité croissante des revenus et des richesses (à la fois au sein des nations et entre elles), qui accroît les risques de troubles politiques dans le monde entier, au changement climatique, qui menace les systèmes économiques existants et ouvre des perspectives pour de nouvelles technologies et industries émergentes, cette génération « de Global Africa » doit naviguer dans un monde qui évolue comme nous ne l’avons jamais vu auparavant.
Mais cette heure de transformation – bien qu’elle comporte des risques – offre également aux Africains du monde entier une occasion historique de redéfinir l’économie mondiale et la dynamique commerciale de manière à nous permettre à tous de réaliser nos aspirations communes.